En 2015, la direction de la Maison centrale d’Arles souhaitait proposer aux prisonniers un atelier autour de la photographie. Jean-Michel Gremillet, inventeur de projets artistiques en prison, m'a alors sollicité Partant d’entretiens sur l’image que chacun a de lui-même, et sur l’image que l’on veut donner de soi, je met en scène des «histoires-portraits».

Lorsque j’ai commencé cette série d’images, j’ai fait le choix de ne rien vouloir connaitre de ce qui avait conduit ces hommes en prison. Lors de nos nombreuses rencontres, il n’en fut presque jamais question. On ne parle pas de ça en détention, ni d’ailleurs de la durée de la peine prononcée.
Je passe toujours beaucoup de temps en amont pour préparer les portraits que je réalise. Lorsque c’est possible, je rencontre les personnes à deux reprises au moins : lors d’un premier entretien, nous essayons ensemble de trouver une idée, un lieu pour la prise de vue. Ici, les contraintes étaient nombreuses. Chaque lieu, chaque objet choisi nécessitaient une autorisation préalable de la direction de la prison. Si le projet était accepté (ce qui fut presque toujours le cas), il nous fallait nous inscrire dans la vie de la prison pour réussir à rejoindre des lieux, ce qui nécessite toujours le passage d’un nombre important de grilles et de portes, passant d’un bâtiment à un autre. Au bout de ces couloirs, de ces attentes liées à des mouvements de personnes, nous parvenions enfin dans un jardin qu’entretient à force de volonté un détenu, dans la cour du quartier disciplinaire ou encore dans une salle d’activités. Nous étions autorisés pour une heure - rarement plus - à détourner la fonction d’un de ces lieux, qui devenait alors le théâtre de ces histoires-portraits. Durant deux ans et demi, j’ai pu constater qu’ici, la photographie prenait une importance hors norme. Nous sommes habitués à la circulation des images et pourtant, dans cette prison de haute sécurité, celles-ci n’existent pas. Les détenus ont bien la possibilité de faire appel à un photographe extérieur pour qu’il réalise d’eux les photos d’identité nécessaires à un document officiel. Ce sont ces images qui témoigneront du temps qui passe. J’ai dû, durant ce processus de travail, respecter des règles très strictes : toutes les images réalisées devaient être validées par l’administration. Aucune des images ne devait par exemple montrer l’emplacement des caméras, ni les miradors ou autres dispositifs de sécurité. Lorsque je récupérais ces images, rarement le jour même, j’avais l’interdiction de les diffuser et lorsque je souhaitais remettre des tirages aux détenus, il me fallait à nouveau les soumettre au chef de détention. Pour que ces portraits existent, il fallait aussi que les personnes détenues consentent par écrit à la diffusion de leur image lorsque cette diffusion est de nature à permettre leur identification. Ce qui fut fait. (...)